Cosmopolis ! Le dernier Cronenberg en date s’annonçait pour le moins sulfureux, au vu de sa tête d’affiche (Pattinson dans un Cronenberg, voilà qui a de quoi faire fantasmer) et de son script pour le moins déroutant. Une sorte de trader qui traverse une ville qui peu à peu cède à l’anarchie. On sent venir une critique virulante du système boursier, avec la touche Cronenberg en plus (l’aspect sexuel du film par exemple). Avec une esthétique hype dévoilée dans les bandes annonces, le tout avait le potentiel pour devenir une œuvre chiante ou une démonstration de savoir faire revenant sur les traces des premiers amours du réalisateur. Le constat : c’est une œuvre chiante.
L’histoire : un trader veut traverser une ville (le monde) pour aller se faire faire une coupe de cheveux. Pendant ce temps se succèdent dans la voiture ses employés qui lui apportent peu à peu de mauvaises nouvelles sur le Yen, une monnaie en train de s’effondrer en ébranlant les fondations de l’entreprise gérée par le trader.
Vraiment, on savait que Cronenberg s’éloignait de ses fondamentaux. Ses trois derniers films ont suscités des débats sur leur nouvelle forme, sur la psychologie qu’ils abordaient… Mais ici, si on voit les symboles que Cronenberg utilise et les messages qu’il veut faire passer, le tout est d’une lourdeur qui fait soupirer bien des fois quand on découvre le film. C’est simple : l’argent perd de plus en plus de sa signification, il représentait quelque chose, mais à force d’être calculé, de spéculer, de taxer des taux d’intérêts… il en a perdu toute valeur (le dialogue absurde faisant du rat une monnaie d’échange, puis on retrouvera bien des fois le symbole du rat). Les agences bancaires perdent peu à peu la notion du temps. Elles veulent détruire le passé et bouffer le présent (cette insistance sur les échelles de temps qui ne cessent de rétrécir, passant à la micro-seconde, à la nanoseconde…) pour étudier l’argent scientifiquement, en faire quelque chose d’ultra prévisible afin de savoir comment gagner plus. La perception du temps (et de l’argent) a changée, et le film insiste lourdement sur cette mutation au cours d’un dialogue passionnant d’une dizaine de minutes. Et au fur et à mesure que la crise financière se fait plus nette, la cité qui entoure la voiture se dégrade, les bâtiments tombent en ruine, les anarchistes envahissent les rues… Les agences bancaires qu’on voyait par les vitres deviennent des banlieues crasseuses… La voiture, monde etriqué et déconnecté du réel, avançant dans un monde en plein effondrement. Et le film tape aussi sur la notion d’originalité, montrant que ce n’est pas le premier individu découvrant quelque chose qui est original, mais quand un individu découvre une chose par lui-même. Et le film de faire intervenir différents personnages qui jouent chacun leur rôle (la femme du trader qui pourrait être une métaphore des gouvernements mettant leurs caisses au service des banques, le garde du corps à la montre bling-bling comme un organisme dépendant de la survie des banques..), jusqu’au salon de coiffure où d’anciens chauffeur de voiture parleront du passé sous un angle nostalgique. Mais le final, c’est le Trader en face d’un homme insignifiant qui veut le tuer. Une occasion pour Cronenberg de confronter un citoyen lambda (ici, un employé qui avait été révulsé par l’omniprésence des chiffres, qui tenaient à prédire toutes les anomalies, à modéliser chaque mouvement monétaire). C’est ainsi que nous sera enfin délivré le message du film : la modélisation, la symétrie, n’est pas la bonne manière d’appréhender l’argent, c’est dans son imperfection, dans ses brutales sautes d’humeur qu’il faudrait se plonger. Cronenberg n’est pas à court d’idées, ça saute aux yeux. D’autant plus que les acteurs ont l’air d’y croire et jouent leur rôle à fond. Mais rarement sa réalisation aura été aussi pompeuse, aussi lourde et pesante à suivre. Les dialogues sont un véritable casse tête, un truc qui oblige à réfléchir énormément pour en tirer la substantifique moelle. Mais ils jouent beaucoup sur l’absurde (à l’image du système bancaire qui s’éloigne de plus en plus de la raison), et par conséquent, dans la même conversation, les protagonistes changent toutes les minutes de sujet de discussion, ce qui ne favorise vraiment pas la compréhension des messages du film. Et cela s’étale sur toute la durée. Jusqu’à la fin, où en guise de final, on aura droit à un dialogue qui part dans tout les sens sans faire exploser le contenu du film (on penserait au final de Videodrome, mais sans le côté anarchiste ; un pétard mouillé), dont on retiendra simplement que le gars a posé ses chiottes au dessus d’un trou et que sa merde part à l’étage du dessous sans qu’il s’en soucie… Cronenberg veut remettre à leur place les « victimes » de la crise, mais le tout se retrouve noyer dans des discours verbeux complexifiés à l’absurde, qui alourdissent constamment le film plus qu’ils ne le servent. Clairement, ce nouveau cru de Cronenberg sent le pétard mouillé, le faux brûlot, étouffé par son intelligence qui intellectualise trop le propos (la chair consiste ici simplement en un toucher rectal révélant l’imperfection de la prostate du Pattinson : un moment comique assez étrange qui déssert le propos, le comique nous éloignant de la valeur de l’exemple). Bien dommage d’avoir dépensé un billet pour le découvrir…
1.7/6
2012
de David Cronenberg
avec Robert Pattinson, Juliette Binoche