La résistance française est un sujet qui a inspiré pas mal de cinéaste, intéressés par l'angle qu'ils pourraient choisir pour illustrer l'héroïsme. Melville a contribué à cette catégorie du film de guerre avec L'armée des Ombres, retraçant le parcours d'un résistant : Luc Gerbier.
L'histoire : 1942, Philippe Gerbier est un résistant arrêté par la police française et en attente de transfert à l'antenne locale de la Gestapo. Au cours de ce dernier, il parvient à s'évader, règle la liquidation de son mouchard et se relance dans la création d'un réseau de résistance.
L'armée des ombres est un film sans victoire, sombre, à la photographie grise. Toutes les couleurs éclatantes semblent avoir quitté la pellicule alors que les nazis paradent sur les champs Elysées. C'est dans ce contexte que Philippe Gerbier (Lino Ventura) tente de résister. Et la résistance n'est pas aisée. Le film se détache immédiatement de toute visée patriotique avec le meurtre glacial de la "balance" de Philippe, étranglé dans une maison délabrée. L'humanité ressort (c'est leur premier meurtre, leur inexpérience rend le moment encore plus grave), mais la besogne est faite. Nos personnages se dispersent alors pour continuer à oeuvrer pour la grande cause. On suivra donc les parcours de plusieurs résistants, qui permettront de développer plusieurs moments de suspense (les contrôles multiples par exemple) et la mission d'évacuation d'anglais accompagnés de Luc Jardie, une figure de la résistance. Vu l'issue de cette mission, on peut que c'est un des rares moments de réussite de nos résistants, appuyés par la population locale, qui coordonnent une évacuation en sous marin dans les calanques près de Marseille. Mais alors que Philippe Gerbier est parvenu à Londres et goûte à une vie meilleure, un membre de son réseau tombe à Lyon. Voulant assurer une opération d'évacuation, Philippe réclame un parachutage et parvient à retrouver d'anciens contacts pour préparer un plan d'évasion. C'est à partir de là que le film devient très pessimiste, et s'attache à décrire la forte pression qui pèse sur les résistants. Nous aurons par exemple le cas de Jean François, qui se livrera à la gestapo pour prévenir leur camarade de l'imminence d'un plan d'évasion... qui échouera en dernière minute pour raisons médicales (il est impossible de déplacer le suspect, agonisant). Un dénouement très cruel avec nos personnages, surtout avec Mathilde (Simone Signoret), véritable incarnation de volonté humaine au service de la résistance. Puis Philippe est repris bêtement, au cours d'une rafle surprise. Et alors qu'il sent la fin venir, le film multiplie les plans de silence, filmant d'autres condamnés anonymes, dont nous ne sauront rien, si ce n'est qu'ils vont mourir. Les dernières réflexions de Philippe avant que les nazis ne fassent feu sont d'ailleurs d'une remarquable profondeur, recherchant à rester fort, jusqu'à l'ultime seconde où tout se dissipe et où la peur prime. Mais l'ultime péripétie sera de loin la plus cruelle, car se centrant sur l'exécution de Mathilde, ayant parlé devant les menaces faites à sa fille. Un épisode ô combien cruel, qui laisse un goût amer devant une personne héroïque qui ne mérite clairement pas son sort. Le film enfonce le clou avec un épilogue gris, nous rapportant que tous les personnages du film furent pris et exécutés dans les mois qui suivirent. Ce refus de conclure sur une note d'espoir, de cerner toute la souffrance qu'ont pu endurer les résistants, rend leur combat d'autant plus poignant qu'il s'écarte complètement de toute ambition divertissante (pas d'action, pas d'humour), confrontant des hommes à une forces qui les fait progressivement disparaître (les fameuses ombres du titre), sans qu'ils puissent s'autoriser la moindre faiblesse. Une vision très sobre et réaliste de la résistance, qui se révèle aussi puissante que subtile (aucun patriotisme hexagonal n'est affiché).
6/6
1969
de Jean-Pierre Melville
avec Lino Ventura, Simone Signoret