Le cinéma d'Almodovar ne m'intéresse que moyennement. Si je sais qu'il s'agit d'un réalisateur capable d'être touché par la Grâce (magnifique Parle avec Elle), son style bavard m'a parfois rebuté (Volver). Avec La piel que habito, on s'attendait tous à une sorte de remake des Yeux sans visage. Sans toutefois se tromper (le cadre paraît évidemment emprunté au chef d'oeuvre du cinéma fantastique français), le film d'Almodovar est plus ambigu, plus torturé, et finalement payant dans son intrigue sans gros but, mais au potentiel dérangeant non négligeable.
L'histoire : Un chirurgien chercheur tente de mettre au point une peau de synthèse, qu'il teste en douce sur une magnifique cobaye qu'il retient prisonnière dans une chambre de son palace. Mais ce cobaye a un visage qui ressemble étrangement à sa femme, décédée 6 ans plus tôt dans un accident de voiture...
Ce cru d'Almodovar a clairement de quoi surprendre, puisqu'il ne cesse de rebondir sur de nouvelles pistes, quitte à passer pour brouillon dans sa manière d'accumuler des épisodes sentimentaux marquants dans le positif et le négatif. La Piel que Habito est un film hybride, à la narration inconstante et volontairement opaque, qui choisit de raconter une histoire de façon brouillonne pour mettre en valeur ses différentes thématiques, toutes passionnantes, mais pas forcément bien traitées. Le film commence sous un angle qui rappelle fortement le classique français, mais ici adapté à notre époque. Notre chirurgien utilise de la technologie de pointe, ses recherches sur la peau de synthèse sont parfaitement crédibles et s'inscrivent dans les thématiques actuelles (la transgénèse, ici utilisant des gènes de porc pour faire une peau dure et lisse). Mais si sa brillante façade commence à être mise en doute par ses confrères, ses méthodes commencent à inspirer le doute chez le spectateur, quand on constate qu'il teste sa peau, apparemment depuis quelques temps, sur une cobaye suicidaire magnifique qui vit enfermée dans une chambre et qui semble fascinée par la peau. Qui est cette mystérieuse personne que notre chirurgien a apparemment remodelé à l'image de sa femme ? Le film va peu à peu répondre à cela, toujours en restant énigmatique dans le ton jusqu'à ce qu'il balance le morceau vers les 2/3 du film. Mais nous y reviendrons. La mise en scène d'Almodovar est ici très sexuelle. Régulièrement, le film est traversé d'épisodes ambigus, comme le passage où l'ancien amant de la femme du chirurgien (présent lors de l'accident de voiture) vient violer ce cobaye qui ressemblait tant à son ancienne conquête. Ou encore cette réception où le chirurgien assiste à plusieurs ébats explicites dans les jardins avant de découvrir sa fille violentée par l'un des convives. L'ambigüité des caractères est toujours mises en avant, et celui de la cobaye est plutôt étrange. On cerne vaguement quelque chose d'étrange dans sa soumission à ces expérimentations médicales, fluctuante. On cherche les liens qu'elle a pu entretenir avec la destruction de la famille du docteur. Et c'est lors d'un retour sur le flash back de 2006 qu'on saisit le potentiel ambigu du film.
ENORME SPOILER : il s'agit en effet d'une sorte de vengeance assez novatrice, puisque le responsable de l'agression et du suicide de la fille du chirurgien, un styliste assez jeune, est enlevé par notre chirurgien, et qu'il est peu à peu transformé en femme par ce dernier. Ce changement de sexe non volontaire, véritable coup dans les valseuses lors de sa révélation, ouvre alors d'énormes possibilités en termes de pistes à explorer (castration, impuissance, haine...). La révélation incite alors à un second visionnage pour bien juger du caractère de notre personnage féminin, transsexuel sous la contrainte remodelé par un bourreau moderne. La dimension sexuelle du film prend une dimension encore plus ambigu (on ne regarde plus vraiment les scènes d'amour de la même façon, et on comprend mieux les douleurs du personnage). FIN DES SPOILERS
Mais le trouble engendré par le film reste surtout sentimental et psychologique. Il s'agit uniquement de personnages qui vivent leur histoire et qui suivent leur trajectoire. Aucun jugement sur la science (ce n'est ici qu'un contexte), tout est dans les rapports ambigus qu'entretiennent les personnages entre eux, mais étrangement, c'est désincarné, froid. La photographie magnifique du film et sa mise en scène léchée en font dans tous les cas un bel objet, et un travail inattendu de la part d'Almodovar. Toutefois, l'ambigüité n'est pas forcément ce qui fait un bon film. Aussi, si La piel que Habito possède un potentiel certain, il n'inspire pas particulièrement la fascination ou le choc qu'on pouvait espérer de telles thématiques. On reste dans un état second, partagé entre l'adhésion et un intérêt modeste, la transcendance restant à respectable distance du fait de l'incapactité du film à aller au delà du malaise, à laisser les sentiments s'exprimer pleinement.
3.8/6
2011
de Pedro Almodóvar
avec Antonio Banderas, Elena Anaya