Un peu de Refn maintenant avec Only God Forgives, cru assez attendu et qui a provoqué une certaine surprise lors de sa découverte. Objet énigmatique (l’hommage à Jodorowsky et son Santa Sangre n’est finalement pas aussi inapproprié que je l’imaginais) et magnétique, OGF donne dans la vengeance de sang chaud, avec des saillies de violences bien plus percutantes que dans Drive et un symbolisme qui retourne aux sources, vers un certain Valhalla rising notamment.
L’histoire : Julian organise des combats de boxe Thaï avec son frère Billy. Ce dernier, ambigu et violent, se fait assassiné après avoir violé et tué une adolescente. Un policier étant impliqué dans l’affaire, la mère de Julian décide de revenir à Bangkok et de mener elle-même la vengeance qui s’impose.
Cru attendu pour la renommée de son réalisateur, mais inattendu dans la formule qu’il propose, Only God Forgives est avant tout une claque visuelle qui n’a rien à voir avec son précédent travail. On peut même parler de retour aux sources, dans le fait que Refn retourne à des symboliques qui renvoient à ses travaux les plus énigmatiques (Branson pour les poings, Valhalla Rising pour le contemplatif pêchu). Car OGF est un film qui a la pêche, même quand il ne se passe rien. S’ouvrant sur un générique d’une intensité infernale, martelée de percussions tonitruantes et filmant la fameuse lame du film rougeoyante comme si elle était en fusion, on est dans le délice graphique avant même d’avoir commencé. Et c’est la prédominance du rouge que nous notons immédiatement. Couleur nettement dominante pendant tout le film, elle semble sans cesse escorter Ryan Gosling, qui abandonne la carrure de beau gosse muet pour passer dans la peau du cadet de service, plus humilié par sa posture qu’il n’en sort grandit. Pusher II sans la conclusion en somme, pour un personnage là aussi peu bavard, mais dont on comprend assez vite l’essence faible (et, à postériori, les étranges codes orgasmiques qui l’animent pendant ses « ébats » avec une prostituée, seconde rôle qui n’a pas besoin encore de beaucoup parler pour se faire entendre. Là où le film marque vraiment la surprise, c’est dans le personnage du policier thaï, dont la carrure et la dégaine nous renvoient directement aux films d’art martiaux. On citait Johnny To sur le blog de Princécranoir, on n’en est effectivement pas loin, tant le déchaînement de violence prend aux tripes. D’ailleurs, si les affiches montrent Ryan Gosling et « le réalisateur de Drive », c’est essentiellement par marketting, car le véritable héros est bien notre policier. Raide dans son uniforme, monolithique, dont chaque mouvement entraîne une blessure pour l’adversaire (voir la mémorable séquence de combat où Gosling se prend une dérouillée à en soulager Shia Labeouf dans Des hommes sans loi), sa justice tombe comme sa lame sur les bandits, et la vengeance ne fait qu’accroître les états de services de ce dernier, qu’on imagine déjà bien remplis… Il est surtout amusant de constater que sa justice expéditive est aussi clairement appropriée, quand bien même on ne coupe plus les bras pour sanctionner de nos jours. En jouant du sabre, le policier devient vite le personnage le plus attachant de l’histoire, objet d’une vendetta qu’il s’acharne à démanteler en déboulonnant les commentaires un par un, remontant la grande chaîne jusqu’à notre sulfureuse mère au foyer. Un personnage féminin de belle étoffe, jurant comme une charretière (on s’attendrait à la voir cracher) et tenant d’une main de fer les affaires de ses bambins, et plus particulièrement celles de Julian qu’elle comprime un peu plus durant chaque dialogue. La honte qu’elle met à Julian (Ryan pour ceux qui n’auraient pas vu) éclate, elle imprime durablement l’écran, mais hélas, on n’attendait probablement un peu plus de la confrontation finale entre elle et notre policier, qu’on savait inévitable. Film très atmosphérique qui parvient à saisir une ambiance rare (à la manière, en quelque sorte, de Vinyan, en même temps, le contemplatif de Refn a toujours cette touche si particulière qui fait son charme), OGF possède d’énormes qualités, que beaucoup considèrent comme des défauts (voir la note infâmante sur allociné en dessous de la moyenne). L’intensité de la mise en scène, l’impressionnante tenue visuelle qui dépayse complètement transcendent ce thriller aux ingrédients classiques pour en faire un authentique spectacle. Refn conclut avec une allusion à Jodorowsky, sans grand commentaires de ma part (lien évident avec Santa Sangre qui n’apporte strictement rien de plus qu’une citation élitiste qui flattera les amateurs de bon cinéma). Chaud comme la braise, donc, et qui laisse espérer du meilleur pour la suite, Refn est encore capable de nous filer une bonne trempe.
4,7/6
2013
de Nicolas Winding Refn
avec Ryan Gosling, Kristin Scott Thomas