Avec Sailor & Lula, David Lynch se lance dans un road movie pour le moins atypique, qu’il bâtie comme un voyage merveilleux ponctué de rencontres étranges, et prompt à dériver aussi bien vers la violence que l’humour sincère. Un pur film de fou qui montre qu’avec peu de budget, on peut faire un film culte.
L’histoire : Sailor, petit ami de Lula, est envoyé en taule pour avoir occis un tueur envoyé par la mère de cette dernière. A sa sortie de prison, Lula vient lui rendre sa jaquette en peau de serpent, et ils partent ensemble alors que la mère envoie des tueurs à leurs trousses…
C’est dans de tels films qu’on voit que le potentiel d’une histoire tient à peu de choses. D’une love story tarantinienne, David Lynch tire une dynamite cinématographique qui explose l’écran à chaque minute, délicieux pour les yeux et envoûtant pour l’âme. La sophistication des protagonistes (ils sont tous merveilleusement développés, de la mère étouffante et psychotique jusqu’au beau père potentiellement dangereux, en passant par nos personnages principaux qui forment un couple sensationnel), la chaleur du cadre, la spontanéité de l’humour ou de la violence, la virtuosité de la mise en scène (une simple montée de musique suscite immédiatement une angoisse fébrile), David Lynch a réalisé un nouveau chef d’œuvre et on ne peut plus qu’admirer le travail en question, léché dans ses moindres détails (les scènes d’étreintes aux teintes chaudes, les multiples références cinématographiques…). Car en bon cinéphile, Lynch développe une atmosphère proche du conte, en faisant régulièrement référence au mythique Magicien d’Oz et en faisant régulièrement intervenir des éléments (le chemin de briques jaunes devient la ligne pointillée de l’autoroute, la mère souvent vue comme la sorcière, le mouvement de chaussures de Lula (scène ô combien virtuose après le face à face sexuel avec Dafoe)…). C’est un régal de cinéphile, et même si la scène finale de la fée me semble un peu trop partir en vrille (même si l’ambiance visuelle est réussie), le tout mélange les genres avec une fraîcheur qu’on a rarement respiré. Cage est épatant en fringuant étalon, danseur accompli et beau mâle violent, Laura Dern fait face. De marquant, j’ai surtout retenu Willem Dafoe, merveilleux en braqueur aux dents pourries dont les apparitions électrisantes nous feront longtemps nous souvenir de ce visage. Mais il faut surtout saluer la performance de Diane Ladd, qui incarne une des mères possessives les plus marquantes du septième art (elle entre en concurrence avec la mère de Carrie, mais reste bien en dessous de la mère de Lionel dans Braindead). Véritable sorcière des temps modernes aux ongles crochus magnifiquement vernis, elle se fait détester du public avec une facilité plaisante, ses accès de rage se révélant proche de l’hystérie. Toute une galerie de personnages avec qui nous passeront deux heures inoubliables, perdus sur une route zigzaguant dans le désert, sans but, mais fascinant. Un parfait conte pour adulte, qui, chose rare, ne cède pas aux joies de l’amoralité (Sailor purge sa peine de prison là où Tarantino se débrouillerait pour que nos tourtereaux s’échappent au nez et à la barbe de la police). Un des roads movies les plus plaisants que j’ai pu voir jusqu’à ce jour.
5,5/6
1990
de David Lynch
avec Nicolas Cage, Laura Dern