Interdit aux moins de 16 ans (avec avertissements !)
IRREVER… IRRVER… Nan, attends… IVERSS… Rha, mais ça fait mal aux yeux, c’est pas évident un titre pareil ! Déjà que le réalisateur (encore un français qui se la joue arty !) se permet de monter son film à l’envers alors qu’il l’avait tourné dans l’ordre chronologique, c’est juste trop, de rajouter ça aussi dans le titre… Comme si il n’y avait pas assez de métaphysique dans ce film… D’ailleurs, de quoi ça parle ?... Ouh, mais y a Monica Belucci qui joue dedans. Il doit y avoir un peu de sexe alors… Hum… Mouais, je sens venir le petit film à scandale qui n’apporte pas grand-chose au final…
C’est à peu près le discours qu’a tenu mon prof de chimie dans il est tombé sur la jaquette du dvd dans mon cartable, et qu’il a reposé négligemment en annonçant fièrement que de toute façon, il allait regarder Camping le soir même. Si il savait à côté de quoi il est passé…
L’histoire : Une arrestation, un meurtre, une vengeance à satisfaire, de la violence en escalade, un crime impuni, un viol abominable, une soirée qui se termine, un dialogue sur la vie sexuelle, la découverte de la maternité. En ordre décroissant.
Ce qui frappe avec le film de Gaspar Noé, c’est l’aura de scandale qui l’entoure, alors que nous tomberons tous d’accord pour dire qu’il n’y a que deux scènes qui dérangent dans ce film : la boite homo et son meurtre à l’extincteur (on taxe Gaspar d’homophobe, alors que le film essaye seulement de se donner une ambiance glauque (Gaspar y joue même un caméo). Filmée dans un club échangiste, on l’aurait surement traité d’hétérophobe…) et la scène de viol dont le réalisme plat a libéré quelques sièges lors des projections en salles. Analysons les : la plongée dans la boîte « le Rectum » est dominée par le tangage, le vertige incessant provoqué par les mouvements de caméra indéterminés… On donne clairement dans la frénésie. Un climat malsain et organique (la couleur rouge prédomine et donne clairement le ton de l’ambiance), qui pousse à bout Pierre et Marcus, décuplant leurs instincts meurtriers (le coup classique du sexe lié à la mort, l’assistance se masturbant devant le meurtre final), et éclatant dans un final sanglant et immersif avec ce plan séquence gore qui nous marquera à vie. Un vrai coup dans les valseuses, et ça n’est que le début. Passé les quelques scènes où les barrières de la morales s’effondrent peu à peu chez Marcus (d’abord la barrière de la vengeance, puis celle du racisme, avant de passer à l’agressivité permanente sans autre forme de communication, nous en arrivons à la scène véritablement déchirante où Marcus découvre le corps d’Alex en charpie, nous laissant largement imaginer le pire au vu de ses blessures impressionnantes. Une scène déchirante, qui fait à nouveau grimper la pression pour la scène suivante, qui bat à plate couture toutes les scènes de rape and revenge qu’on a pu voir au cinéma. Tout, dans cette scène, est fait pour mettre le spectateur mal-à-l’aise. Le cadrage en grand angle, caméra verrouillée au sol comme Monica Belucci, qui tend la main vers l’écran (et vers nous) pour nous demander l’aide qu’elle ne recevra jamais (le détail le plus immonde étant ce type qui arrive dans le flou au fond du tunnel, et qui ressort au vu de la situation). Neuf minutes, c’est la durée moyenne d’un viol. Gaspar n’exagère à aucun moment, il se contente de filmer platement, sans émotions ni interruption. Crue, la scène a-t-elle cependant un potentiel suffisant pour déclencher la vague de malaise constatée ? Je pense qu’elle n’est qu’une amorce, car l’ambiance de la première partie du film est lourde, pessimiste, avec de vraies bouffées d’angoisse. C’est un climat global particulièrement violent qui serait à signaler, amplifié par une bande son désaccordée qui donne vraiment le tournis (Merci, Bangalter, c’est du bon boulot). Mais pour ceux qui aiment se prendre des baffes, celle-ci sera de taille. Passé ce choc, le film s’assagit considérablement, et pendant qu’il nous douche de toutes ces ambiances crades, il se lance dans de nouveaux messages, beaucoup plus évolués (on avait la régression à des enjeux très terre à terre, on retrouve ici des personnages réfléchis, attachants). Notamment sur les relations qu’entretient chaque personnage avec le sexe, qui s’inscrit comme le thème prédominant du film. Marcus est un jouisseur, qui ne néglige aucune occasion pour satisfaire un désir qui le tente. Il assimile le sexe comme une drogue, qui consomme selon ses envies. C’est ainsi lorsqu’il est seul. Pierre, comme son nom l’indique, est plus réservé, plus timide. Et comme le dit cette excellente improvisation sur la soi disant vie sexuelle passée de cet ancien couple, il voit le sexe comme un devoir et comme une prestation. C’est là qu’on peut théoriser sur l’importance du sexe en couple. Avec ce film, le sexe est un ciment, la manifestation d’un lien puissant entre les deux blocs incarnés par les individus. Et on retrouve cette vision dans le couple Marcus-Alex. Marcus est ici très loin de ses excès, et se révèle être un amant parfait pour Alex. Il y a vraiment du positif dans ce couple soudé, de la complicité, et beaucoup de plaisir. C’est d’ailleurs là-dessus que le film insiste : sur la positivité de l’acte amoureux, véritablement constructif, et créateur de vie. Cette découverte de la grossesse en fin de film rend à la fois plus dur son propos nihiliste quand l’histoire est prise à l’endroit, mais magnifie cette création amoureuse pure. Cette vie qui naît est bien au centre du film (ce qui explique les nombreux mouvements circulaires de la caméra centré sur l’utérus fécond d’Alex puis une bande d’enfants jouant autour d’un arroseur), et transcende son statut de descente aux enfers pour en faire une montée vertigineuse vers le Paradis. Le film fonctionne merveilleusement, à l’endroit comme à l’envers, nous offrant avec brio deux facettes de l’humanité, antithétiques, et pourtant bien présentes dans les mêmes images.
En ce qui concerne le contenu métaphysique, c’est là que je risque de décevoir mes lecteurs… J’ai du mal à le voir. Je sens bien qu’il est amorcé par cette fin très sensitive, où la caméra finit dans le ciel, où un effet stroboscopique rend le film difficile à voir, et pourtant, on distingue des images d’étoiles. Je pense dès lors que cette ultime expérimentation vise à souligner l’universalité du propos qui nous est donné. Pour le reste, s’il existe d’autres niveaux de lecture, je suis ouvert à toute nouvelle analyse.
Irreversible, c’est l’un des meilleurs films du cinéma français (pour moi). Il répond à tous mes critères de sélections, montre l’Homme sous ses pires et ses meilleurs traits, tape dans le drame, la comédie, le trash et l’expérimental, et surtout, il a l’énorme capacité de diviser le public en principalement deux gros camps : les archi contre qui vomissent sur la crasse nauséeuse de nihilisme (néanmoins parfaitement réaliste) et les archi pour qui tentent encore de percer tous les mystères de ce film. Vraiment, c’est l’une des contributions contemporaines les plus significatives de ces dernières années au septième art. Un Chef-d’œuvre.
6/6
de Gaspar Noé
avec Monica Bellucci, Vincent Cassel