Abel Ferrara est un réalisateur qui s’est confronté à pas mal de styles, de la SF parano (Body snatchers) au rape and revenge (L’ange de la vengeance), en passant par le drame-polar (Bad Lieutenant, chef d’œuvre ne faisant aucun doute). Etait-il donc bien surprenant de le voir s’attaquer au film de gangster, et de signer avec le King of New York un excellent film de gangster, porté sur la violence et sur l’ambiguité de ses protagonistes ?
L’histoire : après plusieurs années de prison, Frank White est accueilli par ses anciens amis gangsters, qui voient toujours en lui le King de New York. Ce dernier se remet aux affaires criminelles, en constatant combien le milieu a changé depuis son départ, et combien ses interventions risquent de faire de lui le nouveau maire de New York.
Très intéressant exercice auquel se livre Abel Ferrara, puisqu’en nous faisant partir d’un postulat amoral, il parvient à renverser les valeurs établies par la société (policier/bandit). Toutefois, le film se garde bien de faire un éloge de quoi que ce soit, il se contente de bien dépeindre ses personnages et de faire constamment évoluer la situation. Ainsi, Frank White est campé par un Christopher Walken impérial, très à l’aise en gangster classieux, au sourire carnassier qui passe sans temps mort aux questions directes et aux décisions tranchées. Son personnage est en effet intéressant, puisqu’il établit une certaine hiérarchie dans le vice et s’impose des limites à ne pas dépasser (contrairement à ses concurrents maffieux qui ne se gênent pas pour exploiter des mineures ou recourir démesurément à la violence). Ainsi, avec ces « principes », Frank estime gagner sa vie en ayant la conscience tranquille, puisqu’il fait parallèlement participer une bonne part des excédents de ses forfaits dans des bâtiments administratifs. Scandalisé par exemple par la fermeture d’un hôpital en zone défavorisée, il ira jusqu’à emprunter à des concurrents de l’argents pour sauver le bâtiment de la faillite et poursuivre son fonctionnement. Ainsi, dans une société politiquement correcte où les inégalités sociales prennent peu à peu le dessus, Frank White devient le recours des pauvres, une sorte de Robin des bois qui se sert des vices (notamment auprès des riches) pour faire de l’argent qu’il réutilise en grande partie pour améliorer les conditions de vie des quartiers pauvres qu’il connaît. Solution expéditive, bancale, moralement ambigue, mais qui fait ses preuves et qui parvient à maintenir un certain équilibre. D’ailleurs, les personnages des voyoux seront souvent humanisées, comme par exemple celui joué par Lawrance Fishburne, qui apparaîtra régulièrement comme un véritable enragé, mais toujours capable de faire un petit geste gratuit et désintéressé pour une bande de gosses (pas grand-chose, mais c’est là). Quant aux flics, si leur point de vue est régulièrement justifié par leur frustration (ils n’ont aucun recours légaux, les avocats des maffieux bloquant toutes les procédures), ils apparaîssent vite comme un gang (leur caractérisation est identique à celle des gangsters), et leur acharnement à vouloir la peau de Franck sans qu’ils aient beaucoup remué auparavant tend à les rendre totalement antipathiques au fur et à mesure que le film avance. C’est simple, à partir du moment où ils décident de monter une attaque en mode « vigilante », ils basculent carrément du côté des méchants, liquidant sans merci pas mal de personnages auxquels on avait fini par s’attacher et s’aliénant d’un coup l’intégralité du public. Et parmis ces flics, on sera ravi de voir la bouille de Caruso (parfait ici en flic nerveux contrastant énormément avec ses performances dans la série Les experts Miami) et celle de Wesley Snipes, probablement ici dans son meilleur rôle en termes de qualité. Intrigue limpide, photographie agréable et colorée, The King of New York supporte très bien la comparaison avec d’autres films de gangsters et parvient à inverser subtilement les tendances manichéennes habituellement exploitées (c’est l’anti- Les Incorruptibles) en offrant un spectacle de qualité. Un film qui surprend, et agréablement en plus !
5/6
1990
de Abel Ferrara
avec Christopher Walken, David Caruso