Aujourd’hui, bouclage du cycle Karim Hussain avec son dernier long métrage en date : la belle bête. Comme le savent ceux qui ont suivi ce blog ou la carrière du réalisateur, il a surtout donné dans l’expérimental, avec un goût immodéré pour le trash poétique. Et comme ça l’embête visiblement beaucoup de donner dans un registre qu’il a déjà exploité, Karim part aux antipodes de ses précédents travaux, puisqu’il donne ici dans le drame familial à étude de caractère. Un film troublant et forcément polémique, qui m’a moins convaincu que ses prédécesseurs.
L’histoire : les chroniques d’une famille vivant dans une grande maison de campagne, où la mère, veuve, chérit son fils au détriment de sa grande sœur, jalouse de ce statut et désirant plus que tout nuire à ceux qui l’entourent.
Indubitablement, la facture très auteurisante de ce film le propulse aux côtés de The War Zone dans le cas des drames familiaux aux portraits psychologiques soignés. Toutefois, le film n’hésite pas à donner dans l’hallucination expérimentale avec les apparitions régulières d’un homme à tête de cheval, marquant en quelque sorte la présence paternelle qui a toujours été absente dans cette vie de famille. L’isolement de cette cellule familiale minimaliste est la première chose qui frappe, puisqu’elle est la condition nécessaire pour faire survenir tous les débordements psychologiques qui suivront. En effet, la relation qu’entretiennent la mère et le fils est rapidement trouble, trop proche physiquement pour ne pas provoquer le malaise. Il faut dire que le fils en question, qui approche de la majorité, se comporte toujours comme un enfant lové dans le cocon familial, d’où il ne s’est visiblement jamais extrait. Il est le parfait exemple d’un développement retardé par un repli sur soi encouragé par la mère qui ne l’en a que plus choyé. Il est naïf, c’est un enfant dans un corps de vieil adolescent, pubère, mais qui n’a toujours pas entamé les interrogations qui forment le passage vers l’état adulte. Cette relation est malsaine, et on pourrait croire qu’elle sert de prétexte à la sœur pour anéantir sa famille. Mais ce n’est qu’en surface. Ce personnage féminin de la sœur, autant le noter toute de suite, est digne d’une obsession. C’est bien simple, depuis Isabelle Adjani dans Possession, aucun rôle féminin ne m’avait autant renversé. Ses motivations sont troubles, elle est complètement imprévisible, changeant sans cesse d’attitude vis-à-vis de son petit frère, qu’elle câline avant de bizuter, qu’elle allume avant de frustrer, qu’elle console avant de mutiler… Ce rôle féminin est une personnification de la perversion poussée à un point rare. Et les comparaisons entre elle et l’Homme du premier segment de Subconscious Cruelty se fait assez vite (les scènes où elle réfléchit sur un lit), cette dernière prenant un plaisir évidant à détruire ses proches, animée de joies malsaines qui font de ce personnage un véritable phénomène. Tout dans son attitude, dans son physique, pousse au malaise (son sourire avec sa dentition courte est terrifiant), et le lien évident que ressent ce personnage avec la douleur (quand elle l’inflige ou qu’elle la reçoit) ne cesse d’être mis en avant tout au long du film. Retardant un moment les inévitables débordements qui constitueront la dernière partie du film par l’arrivée d’une hypothétique figure paternelle immédiatement rejetée par les deux enfants, le film souffle quelque temps avant de repartir de plus belle, consommant toutes les pistes qu’il a ouverte et cavalant vers le dénouement sans laisser respirer le spectateur. Complètement amoral, trash sans être démonstratif (à l’exception d’une césarienne et d’un plan gore, rien), La belle bête est un portrait étrange, torturé par essence, qui tente d’apporter un écrin très classique aux aspirations de Karim Hussain (le cachet « cinéma d’auteur » est complètement taillé pour lui). Toutefois, il n’y a plus la fougue créatrice, l’ambition dévorante, la soif de nihilisme qui l’animait. Tous les efforts de cohérences qui sont fait pour dresser un portrait réaliste encadrent le film avec rigueur, si bien que l’univers semble se réduire. C’est néanmoins le film le plus accessible de Hussain, et à fortiori le moins perturbant. Le portrait est de qualité, et avec le personnage de la sœur, Hussain parvient à susciter la fascination, mais pour ce qui est des autres portraits, bien que justes, ils ne semblent être là que pour donner de la marge de manœuvre à cette succube aux dents courtes. Un essai intéressant, mais moins définitif qu’Ascension.
4,3/6
2006
de Karim Hussain
avec Carole Laure, Caroline Dhavernas