Alors que l’année est sur le point de se conclure, il est de bon ton de rattraper les films considérés comme marquants, tout au moins de poids, qui ont jalonné l’année et qu’on a raté pour des raisons plus ou moins valables. Parmi eux, Zero Dark Thirty, récit trépident librement inspiré de la traque de Ben Laden, voulant quand même soigner son réalisme et assumant plutôt bien les différentes étapes d’un casse tête logistique se déroulant sur plusieurs années…
L’histoire : en 2001, après les attentats du 11 septembre, une cellule d’investigation de la CIA se dévoue complètement à la traque des chefs d’Al Quaeda, ainsi qu’au démantèlement des cellules terroristes organisant des attentats visant les pays occidentaux.
Kateryn Bigelow est une réalisatrice qui aime se frotter aux sujets difficiles. Avec l’édifiant K19 (film au patriotisme exacerbé et éloge au sens du sacrifice d’une intégrité admirable) et le réputé Démineurs, elle continue logiquement sur sa lancée avec l’un des évènements les plus marquants de l’histoire de la décennie 2000 : la traque et l’élimination de Ben Laden. Sujet très ambitieux, surtout que, fidèle à ses habitudes, la réalisatrice s’y attaque sous l’angle du réalisme. Le film commence très fort en abordant frontalement la question de l’utilisation de la torture dans les camps de prisonniers des états units basés à l’étranger. Les pratiques illustrées sont fidèles à celles ayant filtrées dans la presse, le traitement des prisonniers justifié par la fameuse « guerre contre le terrorisme », le film se révèle plutôt fidèle à la politique des USA menée à l’époque. Et quand l’opinion publique commence à s’en offusquer, la responsabilité devient une patate chaude pour les chefs d’investigation américains les ayant approuvés. Comme fil conducteur de l’histoire, nous nous focalisons sur une enquêtrice commençant son service sur place, qui se dévoue peu à peu complètement à la traque de l’homme le plus recherché du monde à l’époque. Ce qui passe aussi, de sa part, par une acceptation des méthodes de torture et de leur usage pour obtenir des informations. Mais une fois cette question de la torture traitée, le film se retrouve dans une situation malheureuse. En effet, c’est maintenant que j’avoue même copieusement ennuyé devant Démineurs, malgré ses nombreuses scènes de tension. Or, ici, le film en est dépourvu (car le spectateur reste étranger à cette histoire, n’ayant en rien participé à ces évènements, mais les ayant déjà suivi dans l’actualité), et il ne se retrouve plus qu’avec le bordel logistique d’une telle guerre à décrire. Jusqu’à la lancée finale de l’assaut du repère supposé de Ben Laden, il n’y a plus que le doute constant qui entoure les informations récoltées. Commission constamment en recherche d’infos fiables à 100% ou rejetant les preuves avancées, informations zappées pendant des périodes d’influence, intox et fausses pistes… Le film noie le poisson pendant une heure et demie. Sans que ce soit de sa faute, et d’ailleurs, il fait des efforts pour tenter de maintenir l’attention du spectateur (la piste d’un contact connaissant le courrier…). Mais il se ramollit, faute de pouvoir transcender les situations qu’il décrit. Le dilemme de la traque de Ben Laden opposée à la prédiction des prochains attentats ne parvient pas à faire leurre, le film a tendance à pédaler beaucoup sans arriver très loin (sans aller à l’essentiel). L’opération militaire est l’occasion de mettre en scène une scène d’action ambitieuse question réalisme, qui a le mérite de se révéler efficace question immersion. On notera aussi une mise en scène qui tente de rester décente au vu des circonstances (refus de montrer précisément le cadavre d’Oussama, les pertes civiles filmées sans ellipse…). La petite conclusion concerne surtout notre protagoniste principale, qui se retrouve alors au terme de huit années de travail et d’efforts. Un brin d’émotion attendu, qui ne change pas vraiment la donne. Zero Dark Thirty reste dans la lignée de Démineurs, en faisant gonfler ses enjeux avec un brin de politique, et se révèle plutôt fonctionnel pour le sujet qu’il traite, sans l’avoir pour autant transcendé.
4/6
2012
de Kathryn Bigelow
avec Jessica Chastain, Jason Clarke