Le cinéma des banlieues, c’est pas toujours qu’il peut squatter une affiche. C’est simple, à part La Haine, je n’ai pas vu grand-chose de ce cinéma, qu’il ne faut pas assimiler à des immondices comme Neuilly sa mère qui font des clins d’oeil sans savoir de quoi ils parlent. Et je tombe par hasard sur Sheitan, lancé par les Kourtrajmé, et c’est une sorte de révélation. Le film n’a pas reçu un bon accueil partout, il est certes bizarre, mais c’est également un des films de genre les plus drôles que j’ai pu voir dans cette vie. En partant sur quelque chose d’original, Kim Chapiron émancipe son œuvre et lui donne une direction inattendue et efficace, qui se révèlera particulièrement payante sur la longueur, bien qu’il ne s’y passe pas grand-chose.
L’histoire : Ladj, Yasmine, Bart et Taï sortent de boîte de nuit la veille de Noël, et décident d’aller squatter chez Eve, dans la campagne autour de Paris. A leur arrivée, ils font la connaissance de Josef, le gardien de la maison.
Ce qui fait l’originalité de Sheitan, c’est la fraîcheur de ton. En effet, les jeunes sont vus sous un angle penchant légèrement de leur côté, en parvenant à les rendre attachant malgré un menu larcin dans une station service. L’humour est donc gentil, fonctionnant surtout sur le décalage qu’on peut sentir entre le comportement des jeunes et le notre dans des situations similaires. En résumé, le portrait de jeunesse des banlieues est plutôt réussi, sans verser dans la caricature, et en réussissant à broder quelques personnages plus étoffés qu’ils n’en ont l’air (Bart est particulièrement attachant en garçon un peu frustré par ses camarades et qui joue sa racaille pour épater la galerie). C’est aussi le dérapage progressif du film dans le trash qui le rend aussi intéressant. Car ce trash arrive souvent à l’improviste, et n’est jamais délaissé par l’humour (sauf à la fin, où tout part vraiment en couille). Et là, Vincent Cassel impressionne. Grimé en fermier légèrement attardé avec un accent inimitable, il fait l’essentiel des gags, en faisant éclater toutes les minutes un potentiel comique inattendu.
Et peu à peu, on voit apparaître un symbolisme inattendu, notamment avec les animaux, qui apparaissent ça et là dans la maison, en ayant des connotations de plus en plus prononcées pour des incarnations de fléaux ou du Malin. Car c’est bien d’incarnation maléfique que finira par aborder le film, dans un étalage progressif de l’inceste sponsorisé par Satan himself. Les symboles bibliques, parfaitement dissimulés dans le récit (un exemple parmi tant d’autres : le gardien Josef et sa femme Marie), prennent de plus en plus de sens, Eve se révèle particulièrement séduisante en fille issue d’une relation incestueuse, et fan d’une chanson que j’écoute depuis souvent en boucle avec l’excellente BO du film. Après, est-il bien vrai d’appeler l’histoire de ce film un scénario, car il ne consiste qu’à confronter gentiment le monde des banlieues et de la campagne, montré ici comme composé de beaucoup d’handicapés ou de personnes âgées. C’est plus une succession de gags et de saynettes qu’un script posé avec une trame qui avance et des éléments forts. Mais concernant mon avis, la fraîcheur de ton du récit le rend bien plus agréable qu’une bonne partie des comédies françaises, et en plus de donner une petite baffe, hisse le récit comme un petit émule de massacre à la tronçonneuse à la française, plutôt dans le trash que dans le gore (un certain côté malsain pointant parfois le bout de son nez). Sheitan (le Diable dans la religion musulmane) est un film décalé et parfaitement réussi, faisant ce que ça lui chante quand ça lui chante, et ça tombe bien parce que j’aime bien danser sur le même rythme que lui. « Réveille toi, mon doux bébé, sous les caresses et les baisers ! Ce soir c’est la nuit de Noël, à perte de vue de la terre jusqu’au ciel… »
5/6
de Kim Chapiron
avec Vincent Cassel, Olivier Barthelemy
Et une petite photo où on se fait plaisir :