Tout le monde connaît le docteur Hannibal Lecter, un personnage réellement fascinant, qui a terrifié les masses dans sa première apparition au cinéma : le mythique Silence des agneaux. L’innovation se sent particulièrement dans la mise en scène des échanges Clarisse-Hannibal, poussant la « complicité » de ces deux êtres antagonistes jusqu’à une dernière entrevue vraiment touchante. Le personnage du docteur affole le public, le met face à une menace imprévisible et ordonnée, dont le raffinement et les critères élevés lui attirent immédiatement le respect, et très vite la déférence, car les hommes aiment suivre les gens intelligents. Ce charisme, le docteur Lecter le décuplera dans Hannibal, le film le plus bancal et, subjectivement, le plus réussi de la saga, magnifié par la mise en scène de qualité de Ridley Scott et par un Anthony Hopkins particulièrement investi dans son personnage. Après une telle perfection, rien de tel qu’un Brett Ratner pour calmer le jeu. Cependant, si on se fout totalement de Will Graham et que le docteur Lecter fait office de guest star, La psychologie du tueur Francis Dolarhyde interpelle, de même que son suivi affectif (lui ayant un complexe avec les yeux, qui se rapproche d’une aveugle). D’énormes fautes viennent maculer le bestiau, mais il reste un polar hard core regardable. Enfin, les origines d’Hannibal ont été légèrement bâclées, la beauté formelle du film ne pouvant racheter la frustrante simplicité de l’histoire qui nous est contée (comment un être aussi précis qu’Hannibal a-t-il pu avoir un parcours aussi manichéen ?). Décevant mais chiadé, cette conclusion déçoit, mais reste le premier film faisant d’Hannibal son personnage principal. La franchise qui a popularisé le psycho-killer enfin mise à nue, dans un article signé docteur Chilton.
Le Silence des Agneaux : Un gros polar qu’on a un peu trop transcendé à mon goût (la violence est bien plus suggérée qu’explicite), mais dont l’immense popularité a beaucoup apporté à la carrière des deux acteurs principaux : Jodie Foster et Anthony Hopkins. On nous plonge d’abord dans la classique histoire de Serial Killer glauque, dont les seules manifestations qu’on nous laissera voir seront quelques photographies et un cadavre cadré en trop gros plan ou de loin avec des personnes devant. Seven me semble bien plus impressionnant, alors qu’il est côté à une limite d’âge inférieure, et tout cela parce qu’on a de la psychologie dans ce film. Ouh là, subversif ! Et bien pas tant que ça, la référence morale de Clarisse étant conservée pendant tout le film. Si celle du psychopathe aux papillons est certes troublante (la danse devant le miroir), elle n’est d’aucune ambigüité. Psychologiquement, le film est beaucoup moins agressif qu’on le supposait, la déviance psychologiques étant ici vulgarisée, décortiquée, étudiée pendant tout le long métrage. La piste est certes entretenu avec des détails qui marquent les esprits (les papillons principalement), mais elle n’est jamais très éloignée des formules classiques (le dernier acte étant surtout un mécanisme visant à faire uniquement grimper l’adrénaline (ce qui fonctionne, au cours d’une séquence gadget mais tétanisante dans le noir total). Ce qui a surtout attiré mon attention (comme beaucoup de monde), c’est la relation Hannibal-Clarisse, sorte de petit jeu psychologique où Clarisse livre des détails de son passé en échange des précieuses informations du docteur Lecter (le personnage nous impressionne d’ailleurs tellement qu’on en oublie de réfléchir sur ses observations, qui sont d’une pertinence assez incroyable). Pas un jeu très dangereux, aucune corruption d’esprit n’étant possible au travers de la vitre de plexiglas. Il faut avant tout s’attirer la confiance du docteur pour pouvoir dialoguer avec lui. Et c’est là qu’on observe la qualité du jeu des acteurs. Hannibal est proche du cabotinage avec ses haussements de sourcils, son air prédateur et ses rictus mordants, tandis que Clarisse essaye toujours de garder une façade digne malgré ls confessions qu’elle fait. C’est cette franchise qui s’installe peu à peu qui fascine, le spectateur ayant enfin l’impression de découvrir « dans le fond » les personnages qu’il suit, et d’avoir des détails sur leur existence. Je ne vois pas tant de liens entre l’Agneau et la fille du sénateur, mais je vois l’importance de cet évènement dans ce qu’a vécu Clarisse Starling. Et Hannibal aussi le voit, et il s’attache à cette figure de pureté malmenée par une existence difficile (la pauvreté…). Ce dernier face à face, ce doigt effleurant l’index de Clarisse, les relents sentimentaux de cette scène transcendent, on est nous aussi sous le charme. On remet certes les pendules à l’heure sur la nature du docteur avec sa spectaculaire évasion, en nous montrant bien qu’il n’a rien perdu de l’époque où il s’organisait ses dîners personnalisés. Car il y a ça aussi dans la popularité d’Hannibal : Il a goûté au fruit interdit. A la chair de son prochain avec le tact d’un gourmet. Un acte monstrueux magnifié par un raffinement admirable. C’est ce télescopage morbide flamboyant, cette aura prédatrice et expérimentée qui fascine, Hannibal touchant à quelque chose de bien plus tabou et bien plus original que l’inceste où autres complexes auxquels le quotidien nous a tristement habitué. Hannibal, c’est Leatherface à la cour de France, le psychopathe dont la violence ravageuse prend parfois des tournures artistiques soignées (la scène de l’ange), et qui fait preuve d’un discernement sans faille. Une icône est née.
5/6
de Jonathan Demme
avec Anthony Hopkins, Jodie Foster
Hannibal : L’émotion m’étreint, ce film étant certainement mon préféré dans toute ma collection, tant l’apport a été grand pour mes attentes, mes goûts et en partie ma mâturité intellectuelle (il a été le déclencheur de mon intérêt pour la psychologie et m’a permis de mieux analyser mon entourage pour apprendre à influer dessus. Trêve de blabla, les faits. Clarisse est dans de beaux draps suite à une affaire de stup qui a mal tournée. Sa réputation étant ruinée par la presse, elle est forcée de reprendre le dossier Lecter, en standby depuis son évasion au cours de son transfert. Alors qu’elle remue le passé en Amérique, un inspecteur italien, Pazzi, retrouve la piste du docteur à Florence.
Une merveille. Une pure merveille. Ridley Scott a l’immense talent de savoir soigner sa mise en scène, et il nous offre un véritable délice visuel, épaulé par une musique somptueuse (c’est Hans Zimmer, avec cette bande originale, qui m’a redonné goût à la musique classique). Chaque personnage est posé, campé par un acteur de talent, et chacun interprète son personnage avec une réelle implication. Ray Lliota est tout simplement incroyable en salopard fini, parvenant à nous faire détester son personnage avec une hargne qu’on a rarement éprouvé au cours d’un film. Giancarlo Giannini est lui aussi merveilleux en agent vendu qui ira sacrifier un malfrat sans importance pour servir son appât du gain, avant de s’en laver les mains tel Ponce Pilate. La force des images qui le caractérisent, et la comparaison ambitieuse avec Juda achèvent de lui donner un rôle tragique et une sortie aussi gore qu’appropriée, la morale étant à ce stade de l’histoire exclue. Clarisse Starling, campée par une Julianne Moore vraiment touchante et à l’aise dans la peau du personnage (quoiqu’un peu plus détendue que Jodie Foster), est parfaitement à l’aise sur le terrain, et parvient vraiment à faire revivre le personnage de Clarisse Starling, et à retrouver l’émotion que le personnage ressentait dans l’œuvre de Thomas Harris. Bien qu’elle reste assez sobre durant toute la durée de l’enquête (jeu sobre devant Mason Verger, sang froid durant l’enlèvement de Lecter…), c’est LA présence féminine du film, dans sa dignité et dans ce qu’elle a de plus romantique, la belle ayant toutes les raisons de se méfier d’Hannibal, bien qu’irrésistiblement attirée par ce dernier, autant par devoir que par sentiments (ses regards lors des écoutes des échanges avec Hannibal, aménagés pour l’occasion, ne trompent pas). On regrette simplement cette frigidité finale, ce désir contenu par le devoir, mais nous y reviendrons. Son personnage, d’une grâce admirable en dernier acte, a tout de la présence féminine désirable, aussi sensible que dangereuse.
On en arrive enfin à Hannibal, qui crève tout simplement l’écran. La perfection du jeu d’Hopkins n’ayant besoin que de peu de commentaires pour être loué (ses intonations, ses mimiques, ses actions, rien n’est sans conséquences, tout est maîtrisé ou semble maîtrisé jusqu’au moindre détail, Hopkins est devenu Hannibal pendant 2 heures sans la moindre imperfection), j’en profite pour disserter plus longuement sur le personnage d’Hannibal, qui a beaucoup évolué. En effet, il passe du statut de freak intelligent à celui de freak magnifique. Hannibal devient avec ce film le père spirituel de tous les freaks, l’emblème de la réussite des freaks. Hannibal est charismatique, il impose le respect, fait preuve des meilleurs goûts possibles, et il est lui-même un freak (et pas un des moindres). Mais il assume pleinement son statut et parvient à le transcender, brillant en société et faisant éclater sa monstruosité à chaque moment opportun. Par lui, c’est une génération d’incompris qui le prend comme référent, car il représente la véritable réussite du freak en société, moral ou pas. C’est dire combien la fin du film déçoit. En effet, le livre transcendait la victoire d’Hannibal, lui offrant enfin l’amour qu’il méritait sur un ton de romance douce amère qui touchait véritablement le lecteur. Ici, Ridley a été tiraillé entre les freaks et la société et il a cédé à la facilité (et c’est pour ça que beaucoup rejettent le film). Mais malgré cette trahison, cette fin reste travaillée, dans la lignée complète du film, et à défaut de nous offrir l’amour que nous espérions, le docteur, mutilé, reste valide, et continue d’agir comme un freak (le test culinaire final, ultime clin d’œil aux fans). On lui refuse l’amour, mais on ne lui refuse pas l’aura tragique qu’il méritait largement en compensation. Et ne nous plaignons pas, notre docteur est resté en forme avec quelques scènes gore du meilleur cru, dont une incroyable leçon de cuisine magnifiquement mise en scène dans le dernier acte, qui donnera vraiment un aperçu du savoir faire du docteur, imprimant nos rétines pour le restant de nos jours. Sincèrement, Hannibal est un film magnifique, un hommage au giallo italien comme nous l’adorons, vilipendé pour sa fin décevante ou sa violence amorale, destiné à partager les spectateurs, mais d’une telle perfection artistique que les larmes m’en viendraient presque aux yeux. Le coup de foudre cinéphile, jamais rompu depuis ma découverte en 2006.
19/6 (et pas 20 à cause de cette fin décevante)
de Ridley Scott
avec Anthony Hopkins, Julianne Moore
Dragon rouge : Après le coup de foudre avec Hannibal, c’est peu dire si je me suis efforcé de rechercher les suites et précelles de tout ce qui pouvait se rattacher au mythe. Les livres trônent dans mes étagères, et je trouvai sans peine l’adaptation de Dragon Rouge de Brett Ratner. Mais hélas, passé une introduction classieuse bien qu’un peu prétentieuse (les sous entendus lourdingues d’Hannibal prennent des proportions pachidermiques de J’me la pète, mais ils réussissent à faire renaître la joie de retrouver le personnage). Cependant, Will Graham vient vite perturber les choses, et il s’attire immédiatement notre antipathie, en tirant sur notre personnage et en passant du coup pour un héros. C’était là le piège de la précelle, et Brett est tombé en plein dedans : on s’était attaché à Hannibal, alors que dans la logique littéraire, il est seulement un prisonnier susceptible d’aider les flics, dans le premier livre de la trilogie. Résultat : Hannibal est un gadget, une sorte de guest star que Brett essaye de maintenir le plus possible à l’écran (la scène du dîner en cellule, à part faire enrager Chilton, ne sert vraiment à rien). Ce qui explique la réputation calamiteuse que se traîne le film, pourtant loin d’être un foirage total. Si le casting Edward Norton / Harvey Keitel fait indéniablement penser à un coup commercial (du psycho killer avec des stars internationales, ça pue le film de casting, qui n'assurera jamais plus que le minimum contrairement au film de Scott) et n’assurera que le minimum de ce côté-là (Will Graham roule carrément des mécaniques devant Hannibal et a clairement l’air de prendre l’avantage dans les conversations, choses qui n’arrivait jamais dans le bouquin). C’est en revanche l’interprétation de Ralph Fiennes pour jouer La Mâchoire qui marque vraiment le film, pour ne pas dire qui le fait. Il n’y a que ce personnage qui intéresse, nous rappelant vaguement un sentiment de Norman Bates (influence encore plus présente dans le livre, le comportement schizophrène du personnage étant bien mis en avant), en affichant une façade beaucoup plus renfermée. Sa personnalité, et les changements occasionnés par l’histoire d’amour avec Verra est alors plutôt touchante (un freak qui s’essaye lui aussi à l’amour en mettant en standby ses instincts cruels, c’est quand même intéressant), là aussi très aidée par la musique virtuose de Danny Elfman (une magnifique partition). Son mode de fonctionnement là aussi porté sur le détail fascine pour la symbolique très inspirée de tableaux, certains passages de l’histoire virant sur de l’interprétation artistique de premier ordre. Malgré cet excellent point, on n’omettra pas de pointer plusieurs défauts. Comme par exemple cet épisode du papier toilette, joué en mode suspense course contre la montre. Ou cette apparition du tatouage pensé pour être impressionnant, qui a seulement réussi à me faire éclater de rire. Comme quoi, même les mises en scène soignées peuvent être ridicules. L’heure n’est pas à la victoire des freaks, elle est à leur exécution sommaire, le dernier acte se révélant bien trop propre pour prétendre à autre chose qu’une conclusion à suspense. Bref, la saga est sur la mauvaise pente, et ce n’est pas un clin d’œil appuyé à un excellent polar qui va rehausser la qualité globale. Une moyenne due en bonne partie à l’incroyable performance de Fiennes, mais sinon, ça ne vaut pas un clou.
3/6
de Brett Ratner
avec Edward Norton, Anthony Hopkins
Les origines du Mal : Premier film fondé exclusivement sur le personnage d’Hannibal Lecter, tourné sur le modèle d’un script adapté par Thomas Harris en personne, ce qui augurait du meilleur pour la série. Mais voilà : on n’est jamais vraiment convaincu, cette genèse ne parvenant pas à surprendre, à insuffler le caractère et l’imprévisibilité du personnage. Pour le self-contrôle, le raffinement et l’esprit vif, on lorgne du côté des canons asiatiques (waow, beau cliché !) avec une tante japonaise installée en France, l’oncle étant décédé il y a de ça deux ans (une grosse erreur de la part de Thomas Harris, cette figure paternelle de remplacement jouant un rôle assez important dans la gestion de la colère d’Hannibal, tout du moins dans le livre). Hannibal fait donc ses premières armes à la campagne en sacrifiant un boucher collabo au fil de la lame du katana familial. La scène, joliment éclairée et graphiquement chiadée, impressionne pour son visuel, mais n’implique pas vraiment sentimentalement le spectateur (action lointaine…). Après cette première fois bien décevante, Hannibal étudie la médecine à Paris, avant de s’intéresser à son passé et à ses traumatismes (il dort mal la nuit, et au cours d’un rêve, il se rappelle enfin son passé : sa famille décimée, lui et sa sœur Misha survivant dans une chaumière, des soldats arrivant, les faisant prisonniers, avant de becter sa frangine pour faire face à la famine). La folie d’Hannibal, basée sur un traumatisme aussi manichéen et brutal que ça… La psychologie est clairement réduite à son minimum ici, les concepts semblant faire office de couverture évitant de donner trop de détails, trop de complexité à l’histoire. Hannibal est ici manichéen, et s’en va châtier les assassins de sa sœur tel un héros des années 80, sauf qu’il les bouffe. Cette pseudo-morale finit par agacer, tant le script semble dédouaner Hannibal de tout choix moral purement mauvais. Le script s’aventure d’ailleurs sur une piste qui aurait pu se révéler prometteuse (une relation incestueuse avec la tante solitaire), mais qui ne débouchera au final sur rien du tout (on a juste coché la case « érotisme soft asiatique » sur le cahier des charges). Les méchants manichéens sont punis, Hannibal devient un héros, sauf qu’il persiste dans son œuvre de vengeance. Et si un Vaughn appuie clairement son Magneto dans sa pensée vengeresse, Hannibal est d’un coup désavoué par la musique, et la caméra s’éloigne de lui alors qu’au contraire, il commençait à se révéler intéressant. Frustrant d’un point de vue des origines, mais assez chiadé niveau image, c’est un gentil nanar de luxe qui bâcle son sujet, Gaspar Ulliel se démenant quand même pour sembler à la hauteur, et il parviendra presque à l’être dans quelques scènes de violence soulignée, à défaut d’être pleinement justifiée (pourquoi épargner le père de famille si c’est pour le zigouiller 2 minutes plus tard ?). Bref, une précelle vraiment mineure de la saga.
1,5/6
de Peter Webber
avec Gaspard Ulliel, Gong Li