Sweeney Todd, c’est mon Tim Burton préféré (si si, même si ça risque de faire des mécontents). Un numéro d’acteur assez brillant, une mise en scène gothique vraiment à la mesure d talent de Burton, une fresque nihiliste assez impressionnante, et bla bla bla. Bref, un chef d’œuvre inattendu, que je surestime probablement encore, car il s’agit bien d’un remake, et que je n’ai toujours pas vu l’original. En revanche, j’ai vu une autre adaptation de l’œuvre : Sweeney Todd, de David Moore. Il devient donc très intéressant de réunir ces deux films et d’en faire la comparaison, bien que les budgets très déséquilibrés rendent périlleux le rapprochement. Cependant, tentons ce petit numéro d’acrobatie pour tirer le meilleur de cette légende urbaine assez populaire.
Sweeney Todd, the demon barber of Fleet Street : Quoi de plus amusant à voir qu’un réalisateur qui s’essaye à la comédie musicale en étant, de son propre aveux, allergique à ce format cinématographique ? C’est parce que derrière la devanture d’histoire gothique, il y a quelque chose de particulièrement sombre, de particulièrement décourageant sur la nature humaine. Sur le plan de la vengeance, ce film est carrément l’anti Kill Bill, en prenant toujours à contre pied le discours défouloir qu’on a l’habitude de voir au cinéma ces temps ci. A part la scène de Pirelli (le premier) et du Juge (la cible), rien ne viendra jamais alléger le nombre de mort assez impressionnant de la production. Burton jouera d’ailleurs carrément dessus en montrant Johnny Depp charcuter en gros plan 4 ou 5 gorges en poussant la chansonnette innocente destinée à sa fille disparue. Des décalages pareils montrent combien la vengeance égare et rend l’individu égoïste. C’est là aussi que Tim Burton fait fort : avec ses décors gothiques, il place une sorte d’atmosphère de conte, et fait évoluer ses personnages sur le même ton, qui devient peu à peu dissonant alors que le film progresse dans sa trame vengeresse. Mais ceci n’échappe pas au spectateur, qui voit les personnages devenir peu à peu des ogres amoraux, chacun transformé par ses illusions et ses utopies. La vengeance, déjà vouée à être inutile (Sweeney n’a aucun projet après cet acte, et n’éprouve aucun attachement à la vie), explosera dans un des finals les plus tragiques qu’on ait pu voir sur grand écran pendant cette décennie. Sur les thèmes, c’est déjà du costaud, mais Tim a soigné aussi beaucoup ses personnages.
Sweeney est maigre, osseux, pâle. Il est maintenu en vie par son seul désir de vengeance. Un désir qui lui sort des tripes, tant l’injustice de son sort a de quoi émouvoir. Inutile de préciser que le récit part d’un postulat strictement manichéen, qui va bien s’homogénéiser sur la fin, en faisant sombrer tout le monde dans les abîmes de la crasse humaine. Et avec humour, s’il vous plaît. Car les obsessions de Sweeney nous font plus d’une fois rire, tant son obstination à ne penser qu’à sa vengeance à de quoi rendre fou. D’ailleurs, il bascule complètement lors du meurtre de Pirelli (il ne lui faut qu’un sifflement de bouilloire pour passer à l’acte), tuant alors à tour de bras d’une façon purement désintéressée. Sa raison vacille lors de ses déambulations en plein Londres en chantant de désespoir, puis en dansant la valse hachoir en main avec Mrs Lovett. Deux scènes magnifiques, l’une particulièrement hargneuse, et l’autre qui développe une atrocité sous des airs de bluette innocente. Bref, c’est lui le personnage central, et nous suivrons son parcours avec un réel intérêt jusqu’au final pulvérisant totalement ce qui nous restait d’espoir (de biens maigres restes, les personnages devenant de pire en pire). C’est le personnage le plus statique de tous, et aussi celui dont la folie sera la mieux retranscrite (les monologues à ses rasoirs). Iconisé à bloc, sa chute n’en est que d’autant plus rude. Parlons de Mrs Lovett, une femme manipulatrice qui tente de mettre Todd dans sa couche afin de vivre un bonheur de pacotille dont Tim démontre l’incroyable stérilité en une seule chanson qui en vante les mérites. Un décalage qui fait encore rire, mais qui se révèle incroyablement cruel avec le thème de la routine de couple, décuplé ici par la passivité de Todd. C’est probablement elle la pire du film, soufflant l’idée à Sweeney de tuer pour son compte, afin de relancer son commerce de tourtes à la viande vacillant. Totalement aveuglée par son désir, elle ne reculera d’ailleurs pas devant le projet de commettre un infanticide et devant le désossage des cadavres. Un brin de femme solide comme on l’aime (et bien coiffé à l’occasion). Tobby, le jeune garçon recueilli par le couple taré, est lui aussi un personnage intéressant, car il fait d’abord office de seul figure innocente épargnée par le malheur (avec Anthony). On découvrira vite que ça n’est pas le cas, et son attachement à Mrs Lovett l’entrainera lui aussi dans les méandres qui ont englouti le Todd qu’il déteste craintivement. Immergé physiquement dans la crasse d’un égout, il en jaillit avec un maquillage parfait qui illustre instantanément dans quel état d’esprit il est maintenant passé. Enfin, attardons nous sur le juge Turpin, joué par un Alan Rickman au mieux de sa forme, qui cabotine un peu avec un plaisir non dissimulé dans son rôle de juge complètement antipathique. C’est d’abord un pur cliché, qui sonne juste en accumulant tare sur tare, développant ainsi une façade manichéenne (le jugement du gosse) qu’il fera voler en éclat par une seule phrase (« …Si il n’avait pas mérité la corde pour ce crime, il l’avait mérité pour un autre. » « Qui ne la mérite pas ? »). Il devient dès lors un homme profondément seul, dont le seul pouvoir réside dans la crainte qu’il inspire, ne pouvant que rabaisser le monde à défaut de pouvoir s’élever. Il fait preuves de sentiments sans abandonner son manichéisme, ce qui nous donne droit à des scènes d’une beauté inattendue, victime et meurtrier se trouvant réunis en chantant une dernière fois alors que le rasoir repousse l’instant ultime. On évoquera à peine cette histoire de couple entre Anthony et Johanna, histoire d’amour insipide (elle aurait pu jeter sa clé à n’importe qui d’autre dans la rue) et désillusionnée (les démons du passés, oublié par Anthony pour se fixer sur l’instant présent) dont on se fout éperdument (on abandonne ces personnages à leur sort sans plus s’en soucier).
Vraiment, Sweeney Todd est un des films les plus aboutis, et le plus noir de Burton, qui pervertit la « simplicité » de son style conte en transformant ses personnages en monstres, en continuant à les aimer et à rendre leur destin d’autant plus tragique. Inoubliable.
6/6
de Tim Burton
avec Johnny Depp, Helena Bonham Carter
Sweeney Todd : Intéressante version que cette reprise du mythe de Sweeney Todd, qui a vu le jour quelques années avant la relecture Burtonnienne, avec Ray Winstone dans le rôle du barbier psychopathe. Il est assez bon de noter les différences de registres, David Moore tentant de donner une version très réaliste du mythe, en donnant à ses personnages une psychologie moins torturée, et plus crédible. Ainsi, Sweeney Todd est un ancien médecin qui a servi la couronne d’Angleterre pendant plusieurs guerres, et qui se reconvertit dans le métier de barbier, en installant son échoppe à proximité de la boulangerie de Mrs Lovett, dont il tombe amoureux assez vite. Mais celle-ci est mariée à un rufian de la pire espèce, qui la bat sans ménagement. Todd commence alors à accumuler sa rancœur, et bascule dans la folie quand un client gardien de prison lui décrit ses méthodes d’emprisonnement. Il découpe alors son cadavre et le jette dans la Tamise. Peu à peu, il prend de l’assurance, et libèrera madame Lovett de son époux. Mais il n’est hélas pas homme à palper la chair, et Mrs Lovett se satisfera donc d’un grand nombre d’amants qui la courtiseront pour sa beauté. Frustré sur ce plan, Sweeney restera reclus dans sa boutique, avant de recroiser de vieilles connaissances qui ont imprimé son passé, son père, qu’il tentera d’épargner. Ici, point de mécanisme permettant aux cadavres de rejoindre la cave de Lovett pour la préparation, on travaille à la scie, et on débite de la viande à la main. C’est d’ailleurs intéressant de voir que cette idée des tourtes à l’humain se fait dans un coup de folie lui aussi, Todd déposant régulièrement de la viande comme cadeau chez Mrs Lovett afin de l’aider financièrement, et entreposant les cadavres dans une crypte de la chapelle mitoyenne. Sweeney Todd est ici une baraque, largement capable de maîtriser un homme durant ses meurtres, et animés de sentiments beaucoup moins manichéens, qui si ils réduisent son iconisation (quasi inexistante), lui donnent une authenticité qui convainc. Après, c’est un TV film de luxe, donc le cinéma, les beaux décors, tout cela sera rarement au rendez vous. Mais cette vision vulgarisatrice du mythe, sa simplicité et sa persistance à refuser de céder au gore lui donnent de solides arguments pour défendre un visionnage pas indispensable, mais plutôt riche. Inattendu, c’est un TV film au dessus de la moyenne qui ravira les amateurs de légendes urbaines.
4/6
de David Moore
avec Ray Winstone, Essie Davis