Dans le domaine des films de dictatures fantasmées, on peut citer quelques adaptations prestigieuses (Brazil, Fareneight 451, et plus récemment le bon Equilibrium). Le meilleur d’entre tous reste probablement le génial 1984, tombé dans l’oubli tout simplement parce qu’il s’agit d’un des films les plus déprimants jamais fait, tant son climat psychologique fait pression sur le moral du spectateur. Mais celui qui semble remporter une large adhésion populaire reste V pour Vendetta. Ambitieuse adaptation des travaux d’Allan Moore, le film bénéficie pour l’occasion des compétences des frères Wachowski. Un choix qui augure du meilleur quand on pense à Matrix, mais qui effraye quand on constate l’incroyable pauvreté de leur dernier film en date (Matrix revolution, véritable navet torché aussi sec pour bâcler la saga). Il en résulte un travail très bancal, même pas sauvé par les prestations d’acteurs ô combien surestimées.
L’histoire : dans un futur proche, la Grande Bretagne est sous le joug d’une dictature alors que le reste du monde semble s’être effondré. Dans ce climat tendu, un terroriste se parant du masque de Guy Fawkes, revendique plusieurs attentats qu’il organise pour rétablir la vérité dans le pays.
On voit assez vite en quoi V pour Vendetta se veut fédérateur et a rallié autant le public à sa cause. Arrondissant les angles avec un héros bien sous tout rapport et une dictature qui cumule les images fortes d’oppression connues du grand public (des camps de concentration à Guantanamo, tout ce qui est « mal » y passe), il semble impossible de se dresser face au brise glace V pour Vendetta qui manichéise complètement son matériau (un fait qui doit probablement le faire diverger un peu des écrits de Moore, qui aime davantage jouer avec la moralité (voir Watchmen pour s’en convaincre). N’ayant pas lu ses travaux, je ne peux donc juger de la pertinence de l’adaptation des frères Wachowski et de McTeigue. Mais qu’est-ce que cela change à la qualité du film, si il adapte bien ou pas ? Rien, si il y a du talent, le film est bon, sinon, c'est rideau. Et V pour Vendetta, blockbuster soi disant subversif, ne fait rien pour changer les règles (on comprend très bien d'ailleurs que Moore ait refusé de voir son nom inscrit au générique. Se contentant de montrer les têtes pensantes de la dictature comme des méchants bonhommes incapable de dire autre chose que des saloperies (mention spéciale à Protero, aux slogans dictatoriaux entrecoupés d’invocations à Dieu histoire d’agacer davantage, et à l’évêque pédophile qui fait venir les mineures directement au monastère pour leur balancer du « j’adore jouer à confesse ! »), V pour vendetta enfonce les portes ouvertes, sans laisser d’autre choix au spectateur que d’adhérer à la cause, de glorifier V, victime surhumaine miraculeusement rescapé d’un camp d’expérimentation qui entreprend sa quête de vengeance, mais c’est au nom de la liberté (quitte à faire les choses en grand).
Parlons de V maintenant. Ce surhomme animé par l’idée fixe d’une vengeance, à même de le faire survivre à une pluie de balle. On nous le présente d’abord comme un sauveur du peuple, avant de nous balancer le statut terroriste à la face avec la destruction du Old Baily. Scène iconique qui nous plante donc un personnage sympa, intelligent, cultivé (te citant des philosophes, il a la classe, du coup, on cautionne sa quête), un brin robin des bois (je vole pour moi, mais c'est au chancelier) et surtout divin. Je dis bien divin car ses attentats sont tous improbables. Rendez-vous compte, V est tellement un crack que pour chacun de ses coups, il utilise un dispositif d’urgence qu’il pirate on ne sait pas comment. Et pour l’explosion finale, on nous glisse carrément qu’il a remis en état le métro durant les 10 dernières années. Impressionnant ! Donnez lui un marteau et une pelle, et il va vous recreuser le tunnel sous la manche ! En vérité, le film veut voir V gagner, c’est une évidence. Aussi, le scénario lui donne des coups de pouce monstrueux. Mais comme le montage essaye d’insuffler du rythme, on ne se pose pas la question sur le coup, on va de l’avant, et miracle, la dictature tombe ! Résonnez, trompettes ! Et… c’est la fin, on ne sait pas sur quoi la démolition du Parlement débouche, si la dictature fait place à l’anarchie promise par V (car au final, il n’offre aucune alternative, il veut seulement faire tomber la dictature, se foutant de livrer le pays au chaos qui a contaminé les autres continents...). Dernière anecdote rigolote, cet anarchiste de Guy Fawkes, que le film glorifie en le montrant comme père spirituel de V… était un royaliste qui voulait surtout tuer le roi Jacques 1er en faisant sauter la chambre des Lords pour établir un nouvel ordre monarchique plus propice à ses opinions religieuses ^^.
Vient maintenant la question de la population. En effet, c’est par elle que le public est sensé s’identifier à la situation et réagir. Celle-ci devait donc bénéficier d’un bon traitement. Mais non, il s’agit de personnes qui regardent la télé. V organise un apéro facebook devant le parlement ? Je m’inscris et j’en profite pour porter un masque (d’ailleurs, on se demande comment V a pu passer une telle commande et surtout à la faire distribuer sans éveiller l’attention de la dictature). En gros, la participation équivaut ici à une signature de pétition (c’est anonyme, mais on a le sentiment d’avoir participé). Mais il faut comprendre que résister de la sorte donne un sens à sa vie (et au passage, la réveiller un peu, parce qu'elle regarde la télé, mais pour réagir à la dictature, tintin avant que V ne s'empare de la tour Jordan !). Bref, le film place les spectateurs exactement au bon endroit (c’est de votre faute, mais vous avez des excuses, et maintenant il faut réparer) et les fait évoluer dans une seule direction, au nom de la liberté.
Parlons maintenant de la dictature. Cette salope ! Ah, qu’elle est vilaine, la dictature de V pour Vendetta. C’est simple, vous prenez tous les clichés des mécanismes d’oppression, et c’est bon, vous avez la dictature ! Balançant à la télé en direct live du « Immigrants, musulmans, homosexuels, terroristes, dégénérés rongés par la maladie ! Ils devaient disparaître ! », puis mentant à la population sur des évidences (le message de haine, très drôle tellement c’est inapproprié), elle n’est là que pour donner quelque chose à combattre. Objectifs économiques : on va casser du pédé ! Objectifs sociaux : exterminons les musulmans ! Objectifs d’éducation : Dieu est avec nous ! Mais les gens se rendent-ils compte que cette dictature n’est qu’un fantôme ? Une aberration qui n’a aucune raison d’être, aucun objectif, aucune visée pour la population (il n’y a même pas ce désir de conserver un ordre alors que les puissances étrangères ont cédé au chaos). Cette dictature de pacotille n’a pour objectif que d’être une pâle imitation du 3ème reich, sans l’humanité. Quand une dictature aussi absurde parvient à réussir un coup d’état, elle ne tient pas la semaine. Mais bon, ici, le scénario la bâtit avec un tas d’exécutants anonymes qui semblent tous sortir de la prison du quartier (violeur, assassin, tous les représentants du Doigt sont des sociopathes notoires), histoire de bien montrer que la dictature est mauvaise. On ne saurait donc oser de mettre en travers de le route de la liberté dans ces conditions…
Mais, dans ce naufrage idéologique, la prestation des acteurs sauve le tout ! Mais non ! Nathalie Portman, dont on ne cesse de louer les talents d’actrice sur ce film, se contente de jouer la fille frêle pendant la première moitié du film. Vient ensuite la séquence de la détention, où elle se fait raser la tête. C’est en effet un signe d’implication dans son rôle. Et oui, sa prise de conscience de la supercherie peut un peu émouvoir. Et la voilà devenue rhétoricienne accomplie, dissertant un peu sur V (une très timide remise en question immédiatement balayée par le grand assaut final), et citoyenne confirmée appuyant sur le bouton de mise à feu (une figure qui reviendra dans Cloud Atlas, qui aura la décence d’être pessimiste). Quand à V, quel travail fait dans l’éclairage du masque ! Mmm… Oui, on repassera. Hugo Weaving ne pouvant utiliser son visage, l’alternance gestuelle théâtrale / pose statique (je suis raide comme mes poignards) est le choix logique, et l’éclairage ne s’en sort pas trop mal. Pas de quoi se relever la nuit. Pas assez en tout cas pour sauver V pour Vendetta du gouffre de facilité dans lequel il s’est jeté de plein pied, avec une opinion assez droite et réductrice pour foncer au plus simple. Un beau leurre pour les cinéphiles, qui pourront s’offusquer de la pauvreté idéologique d’un tel univers (alors que Brazil, 1984 et même Equilibrium (pompant vers 451) se révélent nettement plus consistants).
Ca me fait oublier de parler de la concécration de la cause homo ! C’est vrai, il y a tellement d’homo qui se font exterminer dans ce film qu’on a l’impression que la dictature a fondé son fond de campagne sur l’extermination des homos. Les lettres d’une victime ? Une lesbienne revendiquant son droit au bonheur à tous ces méchants homophobes ! Gordon, présentateur d’une émission humoristique et s’étant fait sa propre arche des arts illégale (avec un Coran) ? On en fait un homo avec quelques photos gays. Plutôt que de diversifier les origines des victimes (toutes les arrestations tournent autour des couples homosexuels), on se focalise sur les gays, on en fait le symbole de l’oppression dans la dictature. Pourquoi ? Le film se revendique défenseur de cette cause hors sujet ? Veut-il prouver quelque chose, nous donner une leçon d’humanité sur les homosexuels peut-être ? Il n’y a rien derrière cette insistance insolente, si ce n’est le mauvais goût de vouloir normaliser la cause (sinon la consacrer) en diabolisant les homophobes immédiatement assimilés aux membres de cette dictature inepte. Vous êtes gay ? Bravo, félicitations ! Je tiens à vous serrer la main parce que vous avez le cran d’être ce que vous êtes ! Je parlerai de vous à mes amis, vous êtes un exemple pour la société ! Oh ! Pourquoi autant d’insistance là-dessus ? Je ne sais pas, il faudrait demander aux Wachowski, mais c’est de mauvais goût d’en parler, alors on se tait et on verse sa petite larme devant le sacrifice de nos paisibles invertis. Bref V pour vendetta, c’est le petit chiffon rouge avec marqué Liberté dessus qu’on vous agite devant le museau. Dur d’y résister, et pourtant, derrière, il n’y a rien…
0,5/6
2006
de James McTeigue
avec Natalie Portman, Hugo Weaving
"Je veux que Jamesluctor soit déporté sur le champ à Larkhill ! Comme ça, on pourra dire qu'on a déporté au moins un civil de mauvais goût !"